Le confident du poète

Nous sommes en 1830, à Kristiania (ancien nom d'Oslo), et la Norvège cherche à définir son identité politique et culturelle après sa séparation avec le Danemark. Les poètes Henrik Wergeland et Johan Sebastian Welhaven sont les figures de proue de deux mouvements antagonistes. Wergeland prône une nouvelle Norvège indépendante inspirée du romantisme français et anglais, alors que le conservateur Welhaven défend le réalisme poétique d'influence danoise et allemande. Ce conflit politico-culturel secoue la haute bourgeoisie où seuls ont de l'importance le statut social et le beau parler. Le plus grand admirateur de Welhaven, Bernard Herre, est issu d'une famille respectable de Kristiana qui, depuis sa ruine, ne compte plus pour rien aux yeux du beau monde. C'est chez la famille Herre que la soeur d'Henrik Wergeland, Camilla, et Welhaven vont faire connaissance et se lancer dans une histoire d'amour impossible tant le conflit idéologique qui les oppose rend explosif tout contact entre les deux poètes. Bernard Herre, lui aussi éperdument amoureux de Camilla, va se retrouver en position de confident privilégié des deux amoureux. Herre est un personnage pathétique qui souffre d'un perpétuel mal de vivre. Malheureux misanthrope affligé d'un physique ingrat, il vit par procuration telle une sangsue à travers le charismatique Welhaven. Au fil du texte, nous suivons les tourments alcoolisés de cet émissaire mal-aimé qui périra dans la solitude de la forêt, sous le coup de son propre fusil de chasse. Capté par une prose envoûtante, le lecteur est attiré dans les coulisses de ce drame amoureux historique par le biais du monologue intérieur de ce messager de l'ombre. C'est à travers la voix de ce maillon faible, pion impuissant de l'amour, que Dahl choisit de faire parler ses personnages. Il en résulte une peinture à la fois belle et crue du désir et de la profonde solitude. Un texte bouillonnant d'émotion et de désir retenu, qui dresse magnifiquement le portrait d'une époque.