Les sentiers du ciel

Dans le paysage magique de la Calabre, le major Albertis et son escadron poursuivent le bandit Evangelista Boccadoro, pour imposer au Sud l'unité italienne proclamée depuis peu. Calabre, 1863. Dans les montagnes de la Sila, un paysage âpre et grandiose, l'escadron de cavalerie conduit par le major Albertis poursuit une bande de rebelles dont le chef, Evangelista Mancuso dit Boccadoro, est un brigand légendaire qui refuse le nouvel État italien. Après un terrible massacre dans la propriété du baron Pietramala, Boccadoro prend en otage l'institutrice des deux enfants du baron. C'est ainsi que commence, dans le décor fascinant et hostile d'une Calabre archaïque et plongée dans une misère noire, la mission impossible du major Albertis et de ses hommes, sur les traces du bandit. Le nouveau roman de Luigi Guarnieri aborde, dans une forme originale, entre roman historique et "western calabrais", l'une des pages les plus controversées de l'histoire italienne, dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui : la lutte contre le brigandage. Derrière le défi obsessionnel que le major Albertis a lancé à Boccadoro, et qui donne à ce roman des airs de Moby Dick, se déploie la complexité tragique du choc entre deux mondes à des années-lumière l'un de l'autre : d'un côté, l'efficacité cynique et le rationalisme d'un Nord plutôt riche, de l'autre un Sud magique et ancestral, humilié et offensé par la misère, l'ignorance et l'exploitation. Aux yeux des soldats piémontais, la Calabre, et par extension tout le Sud, est "une terre primitive, sauvage, habitée par un peuple de barbares et d'extraterrestres qui refusent de se soumettre aux lois de la civilisation" : le roman se transforme donc rapidement en voyage au coeur des ténèbres. Mais Guarnieri refuse tout manichéisme : il nous fait entendre les raisons de chacun - brigands, préfets méridionaux, paysans. Sans justifier la cruauté des brigands, il nous fait entrer dans l'univers mental de Boccadoro dont l'histoire exemplaire explique la cruauté ; il nous montre aussi la bonne conscience des vainqueurs, leur attitude colonialiste, la gratuité des crimes qu'eux-mêmes commettent. Le fossé qui, aujourd'hui encore, oppose le Nord et le Sud en Italie, trouve partiellement son origine dans ces violences. Plus largement, le livre n'est pas sans évoquer bien d'autres guerres coloniales...